Économie circulaire : quelles stratégies pour les villes ?
Cet article a été initialement publié dans Futuribles.
Les villes regroupent plus de la moitié de la population et pourraient en héberger les deux tiers en 2050. Ainsi, si elles occupent moins de 2 % de la surface de la terre, elles consomment beaucoup de ressources et produisent de nombreux déchets. Elles concentrent par exemple 80% de l’activité économique, entre 60 % et 80 % de la consommation d’énergie et 75 % des émissions de CO2[1].
Pour réduire leur consommation de ressources et leur production de déchets, les municipalités sont de plus de plus nombreuses, comme les entreprises [2], à faire le choix de l’économie circulaire. Les flux de ressources qui traversent leur territoire ne sont souvent utilisés qu’une seule fois alors qu’ils pourraient être exploités beaucoup plus efficacement, en boucle ou en cascade. Mais, à la différence des entreprises, ces territoires sont traversés par des flux innombrables de ressources : équipements, matériaux, matières organiques, eau, chaleur, énergie. Comment alors mettre en œuvre l’économie circulaire dans les villes ?
Même si elles sont encore peu nombreuses, les premières expériences semblent montrer que les villes disposent de quatre stratégies pour s’engager dans l’économie circulaire (voir figure).

Villes zéro déchet : Réduire les déchets à la source et les détourner de l’incinération ou de la mise en décharge
Diminution du coût de collecte, réduction des investissements pour la construction de nouvelles décharges ou de nouveaux incinérateurs, amélioration du cadre de vie… la réduction des déchets présente de nombreux intérêts pour les collectivités. Aussi, après quelques pionnières comme Trévise en Italie ou Guipuzkoa en Espagne, de nombreuses villes ont mis en œuvre des démarches zéro déchet [3]. En Italie, plus de 200 territoires ont signé la Charte zéro déchet, tandis qu’en France, le gouvernement soutient 58 territoires engagés dans une démarche zéro gaspillage / zéro déchet.
La collecte séparée des déchets organiques et techniques est souvent la première étape d’une démarche zéro déchet. En effet, mélangés, ces déchets sont difficiles à recycler. À Milan, les biodéchets sont collectés en porte-à-porte tandis que Chambéry Métropole propose aux habitants d’installer des composteurs au pied de leur immeuble.
Les municipalités peuvent également structurer les filières de collecte et de recyclage des déchets pour mieux les détourner de l’incinération ou de la mise en décharge. Pour cela, elles sensibilisent les habitants aux gestes de tri, déploient des conteneurs de collecte ou mettent en place des partenariats avec des gestionnaires de déchets.
Pour réduire les déchets à la source, les municipalités peuvent, par exemple, interdire la vente de sacs jetables en plastique ou mettre en place une tarification incitative pour la collecte des ordures ménagères.
Souvent cité en exemple, le programme « Zero Waste » de San Francisco n’est pourtant pas exemplaire. Si la ville recycle aujourd’hui près de 80 % de ses déchets, la quantité de déchets résiduels par habitant reste bien supérieure à celle de l’Île-de-France [4].

Villes du partage : mieux utiliser et partager les ressources disponibles
Le partage des ressources permet également de réduire leur consommation. Si, dans les villes, ce sont d’abord les entreprises et associations de « l’économie du partage »[5] qui proposent de louer, de réparer ou d’échanger des équipements ou des services, les municipalités peuvent également contribuer à cette économie.
Depuis déjà des années, les villes louent à leurs habitants des vélos (Vélo’v à Lyon), des voitures (Autolib’ à Paris) ou encore de la vaisselle (Besançon, Munich).
Des villes comme Paris ou Göteborg mettent en place des recycleries où les habitants viennent déposer leurs biens d’équipement dont ils ne se servent plus et qui seront remis en état puis revendus à un prix modique. À la différence des déchèteries, ces recycleries sont des lieux conviviaux et participent au développement de l’économie sociale et solidaire.
D’autres villes choisissent de soutenir l’économie du partage. Pour faire face à l’une des densités de population les plus élevée au monde (17 000 habitants au km2), la ville de Séoul s’est déclarée « sharing city » [6]. Elle supporte les entreprises qui offrent des services de partage : automobiles, vêtements, outils, livres ou encore salles de réunion. Aux États-Unis, la conférence annuelle des maires a signé en 2013 une résolution de soutien à l’économie du partage.

Symbiose industrielle : transformer les déchets en ressources
Dans le cadre de projets d’écologie industrielle, les villes peuvent également favoriser la mise en place de symbioses industrielles où les déchets d’une entreprise deviennent les ressources d’une autre. Les symbioses industrielles permettent d’échanger des coproduits, de réutiliser des eaux usés ou encore de valoriser des excédents de chaleur.
Au Danemark, la « symbiose de Kalundborg » a mis en place une trentaine d’échanges entre les entreprises de la ville. À Dunkerque, la centrale GDF-Suez produit de l’électricité grâce à la récupération des gaz sidérurgiques d’ArcelorMittal. En Wallonie, le projet NEXT identifie et met en œuvre des symbioses entre les entreprises du territoire.
Confrontée à de nombreux obstacles, comme des contraintes réglementaires ou techniques, ou la pérennité des entreprises participantes, la mise en place de symbioses industrielles reste souvent difficile [7].
« Regenerative city » : non pas préserver mais régénérer l’environnement
Et si les immeubles étaient des arbres et les villes des forêts [8] ? Les regenerative cities [9], comme les forêts, régénèrent les mêmes quantités de ressources qu’elles n’en consomment. Elles produisentautant d’eau potable, d’énergie ou de phosphate qu’elles n’en utilisent et captent autant de CO2 qu’elles n’en émettent. S’appuyant sur de nouvelles technologies, quelques villes cherchent à restaurer les écosystèmes dont elles exploitent les ressources.
La ville de Singapour, qui doit importer 40 % de sa consommation d’eau de Malaisie, recycle ses eaux usées puis en réinjecte une partie dans le réseau d’eau potable. La ville d’Amsterdam a passé un accord avec l’ensemble des intervenants dans la chaîne de traitement du phosphore (agriculteurs, fabricants d’engrais, sociétés de traitement des eaux, centres de recherche…) pour recycler puis réutiliser ou exporter le phosphore issu des boues de stations d’épuration. À Utrecht, aux Pays-Bas, un complexe de bureau, le « Park 20/20 », a été construit avec des matériaux de construction entièrement réutilisables ou recyclables.
Des villes comme New York ou Montréal développent l’agriculture urbaine qui permet d’utiliser les déchets urbains comme engrais, de réutiliser la chaleur des bâtiments, de réduire les importations de produits alimentaires ou encore de capter le CO2 par la photosynthèse. En Allemagne, l’installation de serres agricoles sur les terrasses des immeubles permettrait de capter 80 % des émissions de CO2 de l’industrie [10].
Ville zéro déchet, ville du partage, symbiose industrielle ou regenerative city, les stratégies de transition vers une économie circulaire relèvent d’objectifs et de moyens de mise en œuvre très différents. Elles ne sont toutefois pas incompatibles : une ville peut mettre en place un programme zéro déchet mais devenir, plus tard, une ville qui restaure son environnement.
Les villes déclineront sans doute ces stratégies de différentes façons. Certaines stratégies seront dictées par des enjeux environnementaux tandis que d’autres soutiendront également des enjeux sociaux, comme la création d’emplois grâce à l’économie sociale et solidaire, ou économiques, comme l’amélioration du pouvoir d’achat des habitants grâce au partage. Certaines stratégies s’inscriront dans une politique plus générale de la ville tandis que d’autres relèveront d’actions spécifiques.
Quelle que soit la stratégie retenue, les villes devront fédérer autour d’elles l’ensemble des parties prenantes pour la mettre en œuvre : acteurs économiques, monde académique, associatifs et pouvoirs publics. En cela, l’approche participative retenue pour les États généraux de l’économie circulaire à Paris est certainement un exemple à suivre.
[1] PNUE (Programme des Nations unies pour l’environnement), Cities: Investing in energy and resource efficiency, Paris : PNUE, 2011. URL : http://www.unep.org/greeneconomy/Portals/88/documents/ger/GER_12_Cities.pdf
[2] LE MOIGNE Rémy, L’économie circulaire : Comment la mettre en œuvre dans l’entreprise grâce à la reverse supply chain, Paris : Dunod, 2014
[3] Pour accompagner les élus dans leur démarche, l’association Zero Waste France vient récemment de publier Zero waste : zéro déchet, zéro gaspillage, Paris : Rue de l’échiquier, 2014. URL http://lescenario.zerowastefrance.org/.
[4] « San Francisco, un modèle pour la réduction des déchets ? », Alterecoplus, 28 novembre 2014. URL : http://www.alterecoplus.fr/san-francisco-un-modele-pour-la-reduction-des-dechets-201411281603-00000318.html
[5] NOVEL Anne-Sophie (sous la dir. de), Villes et territoires en partage – L’économie collaborative au service des territoires, Paris : La Fabrique écologique, 2014. URL : http://www.lafabriqueecologique.fr/#!Publication-de-la-note-Villes-et-territoires-en-partage-L%C3%A9conomie-collaborative-au-service-des-territoires/c1y2j/DE20A2B5-998B-4EBF-AC6B-37CAE194B440
[6] Voir DÉSAUNAY Cécile, « Séoul, la capitale du partage ? », note de veille, 3 juillet 2014. URL : https://www.futuribles.com/fr/base/article/seoul-la-capitale-du-partage/
[7] Voir notamment DÉSAUNAY Cécile, « Des initiatives favorisant l’économie circulaire », in Produire et consommer à l’ère de la transition écologique, Futuribles International, 2014. URL : https://www.futuribles.com/fr/base/document/note-danalyse-7-des-initiatives-favorisant-leconom/
[8] MCDONOUGH William, BRAUNGART Michael, « Buildings like trees, cities like forests », The catalog of the future, 2002. URL : http://www.mcdonough.com/speaking-writing/buildings-like-trees-cities-like-forests/#.VO2EO4W7WUc
[9] GIRARDET Herbert, Regenerative cities, Hambourg : World Future Council, 2011. URL : http://www.worldfuturecouncil.org/fileadmin/user_upload/papers/WFC_Regenerative_Cities_web_final.pdf
[10] BRAUNGART Michael, MULHALL Douglas, « Point of view: Treat emissions as resources, Braungart et Mulhall », Fondation Ellen Macarthur, février 2012. URL : http://www.ellenmacarthurfoundation.org/circular–economy/explore_more/think-differently-1/point-of-view-treating-emissions-as-resources-by-braungart-mulhall.pdf.
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