Remanufacturing : une formidable opportunité pour la France industrielle de demain
Un procédé éprouvé depuis près d’un siècle
Peu connu en Europe, le remanufacturing existe pourtant depuis près d’un siècle. Ford remanufacture ses moteurs depuis les années 1930, Renault ses pièces mécaniques depuis 1949, Caterpillar les équipements de ses engins de chantier depuis 1973 et Xerox ses imprimantes depuis 1987.
Le remanufacturing est le procédé industriel de remise en état des produits usagés à un niveau de qualité identique à celui des produits neufs. Le plus souvent, la durée de la garantie d’un produit remanufacturé est identique à celle du produit neuf.
La remise à neuf des produits usagés est réalisée suivant un procédé en quatre étapes.
Les produits usagés sont réceptionnés, contrôlés, nettoyés et triés. Ceux qui ne peuvent pas être remis en état économiquement sont écartés. D’autres, en meilleur état, peuvent l’être également afin de limiter la variabilité du procédé de remanufacturing.
Les produits sont ensuite démontés. Le niveau et la séquence des opérations de démontage doivent être de préférence connus avant de commencer cette étape. Le niveau de démontage peut être total, lorsque le produit est désassemblé en chacune des pièces qui le constituent, ou partiel, lorsque le produit n’est pas désassemblé entièrement. La séquence des opérations est définie pour minimiser les coûts de production. Elle est d’autant plus difficile à déterminer que le produit à désassembler comprend un nombre important de pièces et composants.
Une fois démontés, les pièces et composants sont nettoyés. Le nettoyage peut être réalisé par un procédé mécanique, chimique ou encore thermique. Un procédé mécanique élimine les contaminants par brossage, sablage ou encore grenaillage. Un procédé chimique dissout les contaminants à l’aide de solvants. Un procédé thermique retire de la peinture, de la graisse ou encore des adhésifs en faisant varier la température.
Les pièces et les composants sont alors triés. Un travail significatif peut être nécessaire pour trier des pièces, comme les vis par exemple, qui sont similaires en apparence mais différentes.
Les pièces et composants sont ensuite contrôlés et répartis en trois catégories : réutilisables en l’état, réutilisables après une remise en état et non réutilisables. Les pièces non réutilisables, parce que trop usées ou trop anciennes, sont écartées et envoyées, si possible, vers des installations de recyclage. Les autres pièces sont stockées.
La remise en état des pièces et composants, lorsqu’elle est nécessaire, doit respecter les spécifications du fabricant du produit neuf. Elle peut consister, par exemple, en un traitement thermique, l’usinage d’une pièce métallique, la soudure de deux pièces ou encore la peinture d’un composant. Les composants et pièces sont ensuite testés.
Les pièces remises à neuf sont enfin assemblées en composants qui sont eux-mêmes assemblés en produits. Des pièces neuves peuvent être utilisées si celles remises à neuf ne sont pas disponibles. L’assemblage peut également s’accompagner d’une mise à niveau technologique. Les produits remontés sont testés. Typiquement, un produit remanufacturé est plus testé qu’un produit neuf. Le produit est enfin conditionné pour être commercialisé.
Un marché de plus de 100 milliards d’euros…
Le marché mondial du remanufacturing, pour lequel il n’existe aucune évaluation précise, s’élèverait à plus de 100 milliards d’euros[1].
Le marché des Etats-Unis, quelquefois appelé « the hidden giant », représente à lui seul plus de 40 milliards d’euros dont 1,6 milliards à l’exportation[2]. Il est plus important que le marché européen évalué à 30 milliards d’euros[3]. Par exemple, le marché des composants automobiles rénovés serait proportionnellement 3 fois plus important aux Etats-Unis qu’en Europe[4]. Si près de 10% du mobilier de bureau est remanufacturé aux Etats-Unis, moins de 1% le serait en France.
Si la taille du marché français n’est pas connue, celle du marché du Royaume Uni a été estimée à 3,4 milliards d’euros avec un potentiel d’au moins 8 milliards d’euros[5].
La croissance du marché du remanufacturing serait également très élevée. Elle a été de 7% par an aux Etats-Unisentre 2009 et 2011[6]. En conséquence, les ouvertures d’usines de remanufacturing se multiplient : Philips vient d’inaugurer une usine destinée à la révision intégrale de systèmes médicaux aux Pays-Bas, Komatsu a ouvert sa treizième usine de remanufacturing d’équipements de chantier à Myanmar tandis Bendix a démarré une nouvelle ligne de production de compresseurs remanufacturés. Daimler-Benz envisagerait de construire à Shanghai la plus grande usine de remanufacturing au monde.
… réservé à un groupe d’industries
Tous les produits ne sont cependant pas destinés à être remanufacturés. Un produit remanufacturable répond généralement à trois critères.
D’une part il est peu soumis aux évolutions technologiques ou règlementaires. Les smartphones, généralement peu modulaires et reposant sur des technologies en constante évolution, sont rarement remanufacturés.
D’autre part, il doit être facile à remettre en état. En particulier, il doit pouvoir être démonté et remonté. Ses pièces et composants doivent être interchangeables. De nombreux moteurs et boites de vitesse sont remanufacturables.
Enfin la valeur du produit doit être élevée. Dans une voiture, les alternateurs sont très souvent remanufacturés, les moteurs des lève-vitres électriques beaucoup plus rarement.
La liste des principales industries concernées par le remanufacturing est rappelée dans le tableau ci-dessous.
Tableau : Secteurs concernés par le remanufacturing
Secteur | Exemples de produits remanufacturés |
Automobile | Alternateur, démarreur, moteur, boîte de vitesse, pompe à eau |
Equipement de chantier | Moteur, pompe à eau, alternateur, démarreur, frein |
Aéronautique et défense | Moteur, train d’atterrissage, avionique |
Transport ferroviaire | Moteur, essieu |
Mobilier de bureau | Table, chaise, armoire |
Appareil électrique | Transformateur, moteur électrique, climatisation, réfrigérateur |
Equipement industriel | Vanne, turbine, machine-outil, compresseur |
Equipement médical | Système d’imagerie médicale |
Equipement informatique | Imprimante, photocopieur, scanner, cartouche d’imprimante |
Equipement de restauration | Four, distributeur de boissons |
Par exemple Valeo remanufacture ses alternateurs, John Deere des composants de tracteurs, Rockwell Automation ses équipements électriques, Cummins ses moteurs, SKF ses roulements à billes, Philips Healthcare ses équipements médicaux, Kässbohrer ses engins de damage, Nextant Aerospace des avions d’affaires ou encore Neopost ses équipements de traitement du courrier.

Un triple bénéfice
Le remanufacturing répond à des enjeux à la fois économiques, environnementaux et sociaux.
En permettant aux industriels de revendre plusieurs fois le même produit, le remanufacturing serait deux fois plus profitable que le manufacturing[7]. En effet si le prix de vente d’un produit manufacturé est moins élevé que celui d’un produit neuf et si le coût du travail est plus important, le coût des matières est beaucoup plus faible. Ainsi Ricoh commercialise des équipements de bureau remanufacturés dont la marge est deux fois plus élevée que celle des équipements similaires neufs[8]. L’usine de remanufacturing de Renault à Choisy-le-Roi, avec un chiffre d’affaires de 270 millions de dollars, est le site le plus profitable du groupe[9]. Les industriels peuvent d’ailleurs s’appuyer sur de nouvelles technologies pour réduire le coût du procédé de remanufacturing. Par exemple Komatsu utilise des capteurs implantés dans ses engins de construction et d’exploitation minière pour collecter les données d’exploitation de ses équipements et en faciliter leur remise en état.
Le remanufacturing permet également de développer un nouveau marché : celui des clients qui ne peuvent pas ou ne veulent pas s’acheter de produits neufs. Un produit remanufacturé coûte en effet souvent 40% moins cher que le produit neuf. Le remanufacturing constitue aussi une étape vers la commercialisation d’offres différeniantes. Le fabricant de chaises de bureau BMA Ergonomics, après avoir éco-conçu ses produits puis appris à en prolonger la durée de vie grâce au remanufacturing, développe aujourd’hui une offre compétitive de vente de l’usage de ses produits.
En s’approvisionnant en pièces et composants déjà partiellement transformés, le remanufaturing a également un impact environnemental beaucoup plus faible que le manufacturing pour fabriquer un même produit. Par exemple, le remanufacturing d’un moteur d’automobile consomme jusqu’à 83% moins d’énergie, 90% moins de matières, émet jusqu’à 87% de moins de CO2 et produit jusqu’à 88% moins de déchets que la fabrication d’un moteur neuf[10].
Enfin, le remanufacturing crée des emplois locaux. D’une part, la productivité d’une opération de remontage est souvent inférieure à celle du montage du même produit. Par exemple la remise à neuf d’une imprimante Xerox requiert deux fois plus de travail que sa fabrication et nécessite une main d’œuvre plus qualifiée. D’autre part, le remanufacturing de produits usagés fait appel à des emplois locaux ou régionaux. Le coût souvent élevé du transport de produits usagés et le coût limité des usines de remanufacturing, difficilement automatisables, incitent en effet à localiser ces usines à proximité des régions de consommation. Canon, dont tous les sites de production sont localisés en Asie, remanufacture ses équipements sur son site de Giessen en Allemagne. En 2011 aux Etats-Unis, le remanufacturing employait déjà plus de 180 000 personnes. Caterpillar Reman emploie à lui seul 3 600 personnes.
Des obstacles qui ne sont pas infranchissables
Plusieurs obstacles doivent toutefois être franchis avant de percevoir les bénéfices du remanufacturing.
D’une part les produits n’ont souvent pas été conçus en vue du remanufacturing (Design for Remanufacturing) ou sont difficiles à remettre en état. La société néerlandaise ACtronics, qui remanufacture les composants électroniques pour automobiles, doit réaliser d’importants investissements en ingénierie inverse pour acquérir des informations qui ne sont pas mises à disposition par les fabricants de composants.
D’autre part, les gisements de produits usagés peuvent être difficilement accessibles. L’absence d’un système de collecte est l’un des obstacles au remanufacturing du mobilier de bureau au Royaume Uni.
Les industriels peuvent être également hésitants à commercialiser des produits remanufacturés qui pourraient entrer en concurrence avec leurs produits neufs. Dans la pratique, cette cannibalisation s’avère souvent limitée tandis que, au contraire, une offre de produits remanufacturés permet de développer de nouveaux marchés.
Enfin le remanufacturing requiert des savoir-faire souvent nouveaux comme la gestion d’un procédé industriel de remise à neuf, différent sous bien des aspects du procédé de manufacturing, ou la gestion d’une logistique inverse pour récupérer les produits usagés.
trois actions prioritaires
Plusieurs pays tirent déjà parti des bénéfices du remanufacturing. Ils s’appuient en cela sur des écosystèmes construits au fil du temps. En Allemagne, l’industrie du remanufacturing pour l’automobile s’appuie sur des sociétés d’entreposage des composants usagés (comme Gecore ou Pino), des entreprises spécialisées dans la logistique inverse des composants (comme CoremanNet, une filiale du Groupe Bosch) ou encore des centres de recherche spécialisés dans les technologies de test, de nettoyage ou de remise en état (comme Fraunhofer de l’université de Bayreuth).
Pour saisir les opportunités du remanufacturing, l’industrie française aussi doit favoriser l’émergence d’un éco systeme dédié. Trois actions pourraient être lancées à l’image de ce qui est réalisé dans d’autres pays.
Identifier les enjeux et les secteurs à fort potentiel
La France doit évaluer les enjeux du remanufacturing pour son industrie comme l’ont fait avant elle les Etats-Unis[11], le Royaume Uni[12], l’Ecosse[13] ou encore le Danemark[14]. Cette analyse pourra s’appuyer sur la récente étude du marché du remanufacturing en Europe[15] financée par la Commission européenne.
Promouvoir le remanufacturing auprès d’industries ciblées
Le remanufacturing reste peu connu en Europe. Au Royaume Uni, plus de 50% des industriels ne connaissent pas ou n’ont pas évalué le potentiel du remanufacturing pour leur entreprise. Les pouvoirs publics et les organisations patronales pourraient promouvoir le remanufacturing auprès des industries concernées qui le connaissent encore peu. Au Royaume Uni, un groupe de députés a publié un document destiné à promouvoir le remanufacturing auprès des industriels mais aussi du gouvernement.
Mettre en place un environnement favorable au remanufacturing
L’industrie française, en collaboration avec le gouvernement, doit également initier des actions de soutien au remanufacturing : soutenir la création ou le développement de centres de recherche, développer des normes et standard ou encore mettre en place des règlementations en faveur du remanufacturing.
Plusieurs pays ont mis en place des centres de recherche comme les Etats-Unis (Center for Remanufacturing and Resource Recovery), le Royaume-Uni (National Center for Remanufacturing and Resource Recovery, Scottish Institute for Remanufacture), l’Allemagne (Université de Bayreuth) ou encore Singapour (Advanced Remanufacturing and Technology Centre). Les organismes de normalisation allemand (VDI) et anglais (BSI) ont publié des normes spécifiques au remanufacturing. Aux Etats-Unis, le Federal Vehicle Cost Savings Act encourage l’utilisation de composants remanufacturés pour la flotte de véhicule du gouvernement. Selon le sénateur à l’origine de ce texte de loi, ce dernier permettrait la création de 30 000 emplois directs.
L’une des actions prioritaires devra être de traduire et définir en français le mot remanufacturing afin de permettre son utilisation dans les textes de loi et les contrats.
Depuis près d’un siècle, le remanufacturing préserve notre niveau de vie, crée des emplois et réduit notre impact sur l’environnement. Il mériterait sans doute plus d’attention de notre part… et un mot de la langue française.
[1] Circular economy evidence building programme : Remanufacturing study. Zero Waste Scotland. Mars 2015.
[2] Remanufactured goods: An overview of the U.S. and global industries, markets, and Trade. U.S. International Trade Commission. 2011.
[3] Remanufacturing market study, European Remanufacturing Network, novembre 2015
[4] Automotive Parts Remanufacturers Association
[5] Triple Win: The Economic, Social and Environmental Case for Remanufacturing, All-Party Parliamentary Sustainable Resource Group, décembre 2014.
[6] Remanufactured goods: An overview of the U.S. and global industries, markets, and Trade. U.S. International Trade Commission. 2011.
[7] Next Manufacturing Revolution Report. Lavery and Pennell. 2013.
[8] No Ordinary Disruption: The Four Global Forces Breaking All the Trends. Richard Dobbs, James Manyika et Jonathan Woetzel. Mai 2015.
[9] Idem.
[10] The Value of Remanufactured Engines: Life-Cycle Environmental and Economic Perspectives. V. M. Smith et G. A. Keoleian. Journal of Industrial Ecology. 2004.
[11] USITC (United States International Trade Commission), Remanufactured Goods: an Overview of the U.S. and Global Industries, Markets, and Trade, Washington, D.C. : USITC 2012.
[12] Triple Win: The Economic, Social and Environmental Case for Remanufacturing, All-Party Parliamentary Sustainable Resource Group, décembre 2014.
[13] Circular Economy Evidence Building Programme : Remanufacturing Study. Zero Waste Scotland. Mars 2015.
[14] Remanufacturing in Denmark, Incentive, 2015
[15] Remanufacturing market study, European Remanufacturing Network, novembre 2015
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