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Le potentiel sous-exploité du remanufacturing

Cet article a été initialement publié dans Futuribles.

L’usine la plus profitable de Renault ne fabrique pas des moteurs neufs, elle désassemble des moteurs usagés. L’usine de Choisy-le-Roi démonte entièrement, nettoie, contrôle, remonte puis teste les moteurs et les boîtes de vitesse en provenance des garages du réseau Renault.

Le remanufacturing, ce procédé de remise en état des produits usagés à un niveau de qualité identique à celui des produits neufs (voir figure), n’est pas nouveau.

Processus de remanufacturing

Xerox remanufacture ses imprimantes depuis 1987, Caterpillar ses moteurs diesel depuis 1973 et Renault ses pièces mécaniques depuis 1949 ! Le remanufacturing bénéficie néanmoins d’un regain d’intérêt de la part des industriels qui doivent faire face au renchérissement des matières premières et à la demande de produits à bas coûts de leurs clients. Il est aujourd’hui couramment mis en œuvre pour les produits dont le coût est élevé et utilisant des technologies qui évoluent peu : pièces détachées des véhicules, moteurs électriques, machines industrielles ou équipements médicaux. Par exemple, Valeo refabrique ses alternateurs, Rockwell Automation ses équipements électriques, Cummins ses moteurs, SKF ses roulements à billes, Siemens Healthcare ses équipements médicaux, Kässbohrer ses engins de damage, Nextant Aerospace des avions d’affaires ou encore Neopost ses équipements de traitement du courrier.

Aux États-Unis, le marché des produits remanufacturés, qui représentait 41,5 milliards de dollars US en 2011, a connu une croissance de 15 % en seulement deux ans. En Chine, le gouvernement a lancé un programme quinquennal de soutien au remanufacturing, tandis que Singapour a ouvert un important centre de recherche. Tout récemment, à la demande d’un groupe de députés, le Royaume-Uni vient de lancer une évaluation des enjeux et contraintes du remanufacturing [1].

Néanmoins, en France, l’industrie du remanufacturing est encore peu organisée et souvent peu connue. Pour preuve, le mot remanufacturing n’est pas traduit en français : les termes « remanufacturer » ou « refabriquer » ne sont pas des mots de la langue française. Pourtant, le remanufacturing présente de formidables enjeux à la fois économiques, environnementaux et sociaux. Il pourrait être deux fois plus profitable que le manufacturing [2]. En effet, si le prix de vente d’un produit remanufacturé peut être jusqu’à 40 % moins élevé que celui d’un produit neuf et si le coût du travail de refabrication est souvent important, les coûts des matières sont beaucoup plus faibles. Lesindustriels peuvent d’ailleurs s’appuyer sur de nouvelles technologies pour réduire le coût du procédé de refabrication. Par exemple, Komatsu utilise des capteurs placés dans ses engins de construction et d’exploitation minière pour collecter les données d’exploitation de ses équipements, et en faciliter leur refabrication.

En s’approvisionnant en produits déjà partiellement transformés, le remanufaturing a également un impact environnemental beaucoup plus faible que le manufacturing pour fabriquer un même produit. Par exemple, la refabrication d’un moteur d’automobile consomme jusqu’à 90 % de matières en moins et produit jusqu’à 88 % de déchets en moins que la fabrication d’un moteur neuf [3].

Le remanufacturing est aussi créateur d’emplois locaux. Aux États-Unis par exemple, il emploie 180 000 personnes à plein temps [4]. D’une part, la productivité d’une opération de remontage est souvent inférieure à celle du montage du même produit. Ainsi, la refabrication d’une imprimante Xerox requiert deux fois plus de travail que sa fabrication et nécessite une main-d’œuvre plus qualifiée [5]. D’autre part, la refabrication de produits usagés fait souvent appel à des emplois locaux ou régionaux. Le coût souvent élevé du transport de produits usagés et le coût limité des usines de refabrication, difficilement automatisables, incitent en effet à localiser ces usines à proximité des régions de consommation. Par exemple, Renault, Ricoh ou encore Canon possèdent des unités de refabrication en Europe.

Remanufacturing

Face à de tels enjeux, pourquoi le remanufacturing n’est-il pas adopté plus largement ? Sans doute parce qu’un industriel qui fait le choix du remanufacturing doit revoir entièrement son modèle économique. Il doit concevoir ses produits en vue de leur refabrication. Il doit mettre en place une logistique inverse, pour récupérer les produits usagés, et un procédé de refabrication, souvent très différent de celui de fabrication. Il doit se mettre en relation avec de nouveaux fournisseurs, les propriétaires de produits usagés, et acquérir de nouveaux clients, qui ne sont pas nécessairement ceux des produits neufs. Il doit enfin faire face à de nouveaux concurrents, les entreprises spécialisées dans la rénovation de produits usagés.

En dépit de ces obstacles, le remanufacturing n’en présente pas moins un important potentiel pour faire face à la raréfaction des ressources. Selon une récente étude [6] sur l’avenir de l’industrie du Royaume-Uni, le remanufacturing, qui ne représente que 1% du chiffre d’affaires total de l’activité de production [7], devrait connaître une très forte croissance. Il est également une formidable opportunité pour la France industrielle de demain.

[1] « Inquiry: Remanufacturing – Resource Security & Opportunity for Growth », All-Party Parliamentary Sustainable Resource Group, août 2014. URL : http://www.policyconnect.org.uk/apsrg/research/inquiry-remanufacturing-resource-security-opportunity-growth

[2] LAVERY Greg et alii, Next Manufacturing Revolution Report, Londres : Lavery and Pennell, 2013. URL : http://www.nextmanufacturingrevolution.org/

[3] SMITH Vanessa M., KEOLEIAN Gregory A., « The Value Of Remanufactured Engines: Life- Cycle Environmental And Economic Perspectives », Journal of Industrial Ecology, janvier 2004. URL : http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1162/1088198041269463/abstract

[4] USITC (United States International Trade Commission), Remanufactured Goods: an Overview of the U.S. and Global Industries, Markets, and Trade, Washington, D.C. : USITC 2012. URL : http://www.usitc.gov/publications/332/pub4356.pdf

[5] PNUE (Programme des Nations unies pour l’environnement), Green jobs : Towards Decent Work in a Sustainable, Low-carbon World, Nairobi : PNUE, 2008. URL : http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/—dgreports/—dcomm/documents/publication/wcms_098504.pdf

[6] GOS (The Government Office for Science), The future of manufacturing: A new era of opportunity and challenge for the UK, Londres : GOS, 2013. URL : https://www.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/255922/13-809-future-manufacturing-project-report.pdf

[7] LAVERY Greg et alii, op. cit.

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