Créer des emplois grâce à l’économie circulaire
Cet article a été initialement publié dans Actu-Environnement.
En substituant la consommation des ressources naturelles par celle de la main d’œuvre, l’économie circulaire préserve non seulement les matières premières mais crée aussi des emplois.
Pour rester compétitives les entreprises doivent en permanence réduire leurs coûts. Pour une entreprise industrielle il est plus facile, et aussi plus rapide, de réduire le coût du travail que celui des matières ou de l’énergie. La réduction des effectifs d’une usine est plus facile que la diminution de l’approvisionnement en matières premières et plus rapide que la réduction de la consommation d’énergie.
La productivité du travail a ainsi augmenté beaucoup plus rapidement que la productivité des matières ou de l’énergie. Par exemple, la productivité du travail a triplé aux Etats-Unis entre les années 1950 et 2000 tandis que la productivité des matières ou de l’énergie a peu évolué. En Allemagne, la productivité du travail a été multipliée par 3,5 entre 1960 et 2000 tandis que la productivité des matières a seulement doublé1. Les politiques fiscales, dans lesquelles l’accent est mis sur la taxation du travail plutôt que sur la taxation de l’utilisation des ressources, ont également favorisé l’accroissement de la productivité de la main-d’œuvre au détriment de la productivité des ressources.
Les gains de productivité sont donc surtout réalisés au prix d’importantes réductions d’effectifs. En France, ils entrainent chaque année la destruction de 43.000 emplois2. L’économie circulairequi, contrairement à notre modèle économique actuel, privilégie la productivité des matières et de l’énergie, permettrait-elle d’inverser cette tendance ?
Dans une économie circulaire, les produits usagés et les matières sont réintroduits dans le cycle de production, de distribution et d’utilisation, autant de fois que cela est possible. L’économie circulaire améliore ainsi, par nature, la productivité des matières. Ces gains de productivité permettraient d’économiser globalement un milliard de dollars par an en 20253. En préférant réintroduire des produits usagés dans le cycle de production plutôt que de fabriquer de nouveaux produits, l’économie circulaire permet également de réduire la consommation énergétique. En effet 75 % de l’énergie nécessaire à la fabrication d’un produit fini est utilisée pour extraire des ressources naturelles et les transformer en matériaux, comme le fer ou le ciment. Seuls les 25 % restants sont utilisés pour transformer ces matériaux en produits finis4. En privilégiant la productivité des matières et de l’énergie à la productivité du travail, l’économie circulaire permet-elle de préserver ou de créer des emplois ?
L’impact de l’économie circulaire sur l’emploi est difficile à estimer, que ce soit globalement ou au niveau d’un pays. Toutefois, une première estimation peut être faite en analysant chacune des boucles de l’économie circulaire : le recyclage, la refabrication, la réparation et, enfin, la réutilisation.
Le recyclage crée des emplois dont certains sont locaux
Le recyclage des déchets crée des emplois5. Il en crée 6 fois plus que la valorisation énergétique des déchets 6 et 25 fois plus que leur mise en décharge7. Le potentiel de création d’emplois est cependant différent à chacune des étapes du procédé de recyclage : la collecte, le démantèlement, le tri et la valorisation matière. La collecte et le tri des déchets8 sont des activités à forte intensité de main d’œuvre. De plus, elles sont parfois difficiles à automatiser. Par exemple, si des technologies sont développées pour trier les textiles par type de fibre, le tri manuel basé sur le jugement humain reste aujourd’hui indispensable.
Par contre, le potentiel de création d’emploi du démantèlement est plus limité. Le démantèlement (ou déconstruction) a une productivité beaucoup plus élevée que la construction. Par exemple, pour le Groupe Renault, la déconstruction d’un véhicule usagé est 8 fois plus productive que la construction d’un véhicule neuf.
La collecte, le démantèlement et le tri, réalisés à proximité des sources de déchets, sont assurés par des emplois locaux. Par contre, la valorisation matière ne s’effectue pas toujours dans un périmètre local ou régional. Le coût souvent élevé des usines de recyclage en limite le nombre. Par exemple il n’existe dans le monde que trois usines capables de recycler convenablement les métaux précieux contenus dans les téléphones portables. Certaines des usines de recyclage sont localisées hors d’Europe, dans des pays où les contraintes environnementales sont moins élevées. L’Europe exporte ainsi une part importante de ses déchets en plastique vers l’Asie.
Le potentiel de création d’emplois du recyclage n’en reste pas moins significatif. La mise en œuvre intégrale de la législation de l’Union Européenne relative aux déchets (qui porte principalement sur le recyclage) permettrait de créer, suivant une estimation de 2011, plus de 400.000 emplois d’ici à 20209. Au Royaume-Uni, la méthanisation, qui est une forme de recyclage des matières organiques, créerait 35.000 nouveaux postes10.
Le potentiel du remanufacturing

Activité à forte intensité de main d’œuvre, la refabrication a un potentiel important de création d’emplois locaux. La productivité d’une opération de remontage est en effet souvent inférieure à celle du montage du même produit. Par exemple la refabrication d’une imprimante Xerox requiert deux fois plus de travail que sa fabrication et nécessite une main d’œuvre plus qualifiée11. Il est également difficile d’automatiser le démontage en mettant en place des chaînes de démontage similaires aux chaînes de montage. En effet, la durée et les opérations successives du démontage peuvent varier d’un produit à l’autre. Par exemple, un produit endommagé est généralement plus difficile à démonter qu’un produit en bon état.
La refabrication de produits usagés fait appel à des emplois locaux ou régionaux. Le coût souvent élevé du transport de produits usagés et le coût limité des usines de refabrication (qui sont difficilement automatisables) incitent à localiser ces usines à proximité des régions de consommation. Par exemple, Renault, Ricoh ou encore Canon possèdent des unités de refabrication en Europe.
Aux Etats-Unis, le secteur de la refabrication, qui emploie 180.000 personnes à temps plein, connaît une croissance de 15%12. Au Royaume-Uni la refabrication permettrait de créer au moins 310.000 nouveaux emplois13.
Emplois non délocalisables
S’appuyant sur de nouveaux business models, la réparation et la réutilisation pourraient créer de très nombreux emplois locaux. Les études de l’impact de la réparation et la réutilisation sur l’emploi sont limitées. Pourtant c’est peut-être pour ces deux activités que le potentiel de création d’emplois est le plus important.
La réparation et la réutilisation ne doivent pas être limitées aux seules activités existantes comme la réparation automobile ou la location de véhicules. Elles doivent inclure les nouveaux business models, comme l’économie de fonctionnalité ou l’économie collaborative.
Un nombre grandissant d’entreprises, des start-up comme des multinationales, adoptent l’économie de fonctionnalité. L’économie de fonctionnalité est la substitution de la vente de l’usage d’un bien à la vente du bien lui-même. Xerox ne vend pas des imprimantes mais des services de gestion d’impression. Elis ne vend pas des vêtements de travail mais un service de location-entretien. Philips veut substituer la vente de systèmes d’éclairage par la vente d’un service d’éclairage. Safechem ne vend plus du perchloroéthylène mais le loue. D’autres entreprises, comme Apple ou Amazon, gérent leurs produits suivant une boucle fermée : ils rachètent les produits usagés à leurs clients pour les rénover puis les revendre à nouveau.
De nouvelles organisations doivent être mises en place pour opérer ces nouveaux modèles afin d’assurer le suivi, la maintenance, la récupération ou encore la remise en état des produits. Ces activités présentent une forte intensité de main d’œuvre. Ces modèles sont sans doute encore trop récents pour connaître leurs impacts sur l’emploi. L’évaluation de modèles similaires laisse cependant présager un potentiel important : en Allemagne, le remplacement d’un système de gestion des bouteilles à usage unique par un système de bouteilles consignées permettrait la création de 80.000 emplois14.
Si le nombre d’emplois net créés par l’économie circulaire est difficile à estimer, les premiers signes sont prometteurs. En substituant la consommation des ressources naturelles par celle de la main d’œuvre, chacune des boucles de l’économie circulaire crée des emplois. Plus la boucle est « courte », plus la substitution des ressources naturelles par la ressource du travail est importante et plus la création d’emplois locaux l’est également. Il ne serait finalement peut être pas fortuit que l’étude à l’origine de l’économie circulaire, publiée en 1977 par la Commission européenne, traitait non pas de la réduction de la consommation des ressources mais de la création d’emplois.
Cette création d’emplois s’accompagnera sans doute de la destruction d’emplois existants, en particulier dans les secteurs miniers et de la fabrication de produits neufs. Mais ces destructions impacteront sans doute plus faiblement la France qui a déjà perdu beaucoup d’emplois dans ces secteurs. Reposant sur des activités à haute intensité de main d’œuvre, globalement, l’économie circulaire devrait créer beaucoup plus d’emplois qu’elle n’en détruira. Selon le gouvernement japonais qui a engagé une transition vers l’économie circulaire au début des années 2000, 650 000 emplois auraient été créés en l’espace de sept ans15.
En permettant à la fois d’améliorer la compétitivité des entreprises et de créer des emplois, l’économie circulaire représente une formidable opportunité que la France et l’Europe ne peuvent pas se permettre de rater.
1 Working for the environment : a growing source of jobs, Michael Renner, Worldwatch Institute, septembre 2000.
2 La désindustrialisation en France (Documents de travail de la DG Trésor), Lilas Demmou, juin 2010.
3 Remaking the industrial economy, McKinsey Quarterly, février 2014.
4 The performance economy, Walter R. Stahel, février 2010.
5 Consulter les opportunités d’embauches du recyclage.
https://www.emploi-environnement.com/fr/gestion_offre/offre_emploi_recyclage.php4
6 Consultez les opportunités d’emploi de la valorisation énergétique des déchets.
https://www.emploi-environnement.com/fr/gestion_offre/offre_emploi_valorisation_energetique_incineration.php4
7 Mise en œuvre de l’utilisation durable des ressources : une stratégie thématique pour la prévention et le recyclage des déchets, Commission européenne, 21 décembre 2005.
8 Consultez les opportunités d’emploi dans le domaine de la collecte et du tri de déchets.
https://www.emploi-environnement.com/fr/gestion_offre/offre_emploi_gestion_collecte_tri_des_dechets.php4
9 Implementing EU waste legislation for green growth, Commission européenne DG ENV, 29 novembre 2011.
10 Anaerobic digestion strategy and action plan, Department of environment food & rural affairs.
11 Green jobs : towards decent work in a sustainable, low-carbon world, United nations environment programme, septembre 2008.
12 Source : Remanufactured goods : an overview of the U.S. and global industries, markets, and trade, United States International Trade Commission, octobre 2012.
13 The next manufacturing revolution : non-labour resource productivity and its potential for UK manufacturing, Next manufacturing revolution, juillet 2013.
14 Reuse and recycling systems for selected beverage packaging from a sustainability perspective, PwC, 2011.
15 Establishing a sound material-cycle society : milestone toward a sound material-cycle society through changes in business and life styles, Ministry of the environment (Government of Japan), 2010.
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