Hôpitaux : le choix du jetable à l’épreuve de la pandémie
Dans les hôpitaux, à partir des années 1960, les masques à usage unique ont progressivement remplacé les masques réutilisables. L’une des dernières études comparatives, réalisée en 1975 [1], conclut que les masques réutilisables, soigneusement conçus, fabriqués et testés, étaient plus performants que les masques à usage unique. Pourtant, les hôpitaux préférèrent les masques à usage unique dont les coûts d’achat et de gestion sont très bas. Majoritairement produits en Chine (10 milliards d’unités en 2019), les masques à usage unique ont un coût d’achat très compétitif. Ils ont également un coût de gestion très faible puisqu’il suffit, après usage, de les jeter, à la différence des masques réutilisables qu’il faut stériliser et remettre en stock.
Cet article a été initialement publié dans Futuribles.
Mais, au début de la pandémie de Covid-19, ni les stocks ni les moyens de production existants ne permirent de répondre à la forte demande de masques à usage unique. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la demande était supérieure de 40 % à l’o »re. Confrontés à une pénurie de masques et ne pouvant réutiliser les masques à usage unique, les hôpitaux n’ont pas pu protéger convenablement leur personnel, pourtant en première ligne pour lutter contre la pandémie.
Face à cette pénurie, des industriels de la région Auvergne-Rhône-Alpes se sont regroupés au sein du collectif Voc-Cov (Volonté d’organiser, contre le Covid-19) pour produire, à nouveau, des masques réutilisables. Ils mirent en commun leurs compétences : le masque a été conçu par des ingénieurs de Michelin, testé sur les bancs d’essai du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), puis produit et mis sur le marché par Ouvry, une entreprise de la région lyonnaise. Grâce à ses cinq #ltres lavables et interchangeables, le masque est réutilisable jusqu’à 100 fois. Commercialisé au prix de 28 euros, il coûte 0,28 euro par utilisation. Comparativement, un masque chirurgical à usage unique coûte environ 0,55 euro et a des performances moindres. Ainsi, en seulement quelques semaines, le collectif a conçu et produit un masque réutilisable dont le coût est moins élevé, l’impact environnemental plus faible et qui est produit localement.

Au début de la pandémie, les hôpitaux ont fait face à des di!cultés d’approvisionnement, non seulement de masques mais aussi de respirateurs. Les respirateurs sont des équipements médicaux qui fournissent de l’air aux poumons des patients. Ils permettent de prévenir une insu!sance respiratoire, cause fréquente de décès chez les patients atteints de la Covid-19. Au début de la pandémie aux États-Unis, la Society of Critical Care Medicine estimait le nombre de patients atteints de Covid-19 et pouvant avoir besoin d’un ventilateur à 960 000 alors que 200 000 machines seulement étaient disponibles. Les capacités de production ne permettaient pas de produire un nombre su!sant de respirateurs : en 2019, seulement 77 000 nouveaux ventilateurs avaient été mis sur le marché dans le monde. De plus, juste au moment où elles étaient le plus nécessaires, les chaînes d’approvisionnement mondiales qui pouvaient livrer toutes les pièces et équipements rapidement, étaient démantelées.
Ne pouvant s’approvisionner auprès des fabricants de respirateurs neufs, certains pays choisirent de se tourner vers une autre source d’approvisionnement : les équipements mis au rebut par les hôpitaux. Rien qu’aux États-Unis, le stock de ventilateurs hors service était estimé à 100 000, dont 20 % pouvaient être reconditionnés. L’État de Californie, qui disposait dans ses entrepôts de centaines de ventilateurs usagés, demanda à l’entreprise Bloom Energy de les remettre en état. Le fabricant de piles à combustible n’avait pas d’expérience dans la production de ventilateurs mais, en quelques jours, apprit à remettre en fonctionnement ces équipements et en reconditionna ensuite plus de 500.
Le reconditionnement a permis non seulement de remettre en état des équipements hors service, mais aussi de prolonger l’utilisation des équipements encore en fonctionnement. Au début de la pandémie, les hôpitaux des Pays-Bas utilisaient des tomodensitomètres pour déterminer si un patient était atteint du coronavirus grâce à une image des poumons. Pour prolonger la durée de vie de ces équipements, l’usine Philips de Best a collecté les anciens équipements des hôpitaux, les a reconditionnés puis les a retournés aux hôpitaux dans un état identique à celui des appareils neufs.
Tirant parti d’une chaîne d’approvisionnement courte, Philips a pu remettre à neuf ces tomodensitomètres en seulement deux semaines, contre six habituellement, et répondre rapidement à la forte demande des hôpitaux.
Lors de la pandémie, les hôpitaux devaient également réparer leurs ventilateurs. Mais, à cause de cette pandémie, les techniciens biomédicaux autorisés par les fabricants ne pouvaient pas intervenir rapidement. Les autres techniciens, indépendants ou employés dans les hôpitaux, n’avaient pas accès aux manuels de réparation ou aux pièces détachées des fabricants. Au début de la pandémie, l’organisation de la réparation des équipements médicaux n’a pas su répondre convenablement aux demandes des hôpitaux.
En urgence, aux États-Unis, cinq États ont demandé aux fabricants de ventilateurs de faciliter la réparation de leurs équipements. Plusieurs fabricants, dont General Electric et Medtronics, donnèrent alors accès à certaines de leurs documentations techniques. L’entreprise iFixit mit en place une base de données contenant les manuels de réparation de ventilateurs a#n que les techniciens trouvent rapidement l’information qu’ils recherchent. En Italie, l’entreprise Isinnova fabriqua, à l’aide d’une imprimante 3D, une centaine de pièces détachées pour que l’hôpital de Chiari, près de Brescia, puisse réparer ses respirateurs, les pièces détachées ne pouvant plus être fournies par le fabricant.
Aujourd’hui, de nombreux équipements médicaux comme les masques mais aussi les seringues, les plateaux ou encore les instruments chirurgicaux sont à usage unique. De nombreux appareils, et pas seulement les ventilateurs, sont mis au rebut alors qu’ils pourraient être reconditionnés et réutilisés. Le secteur hospitalier, comme de nombreux autres secteurs, a souvent fait le choix du jetable au dépend du durable, préférant l’e!cience à court terme à la résilience.
La pandémie a démontré que d’autres modèles plus durables, des modèles qui s’appuient sur l’économie circulaire, permettaient non seulement d’améliorer la résilience des hôpitaux, mais aussi de créer des emplois et de réduire l’impact sur l’environnement. Comme l’a récemment déclaré Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, « une économie plus moderne et circulaire nous rendra moins dépendants et renforcera notre résilience. C’est la leçon que nous devons tirer de cette crise. »
[1] Citée in « A History of the Medical Mask and the Rise of Throwaway Culture ».
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